Parcours

Michel Bret
samedi 1er mars 2003.
 


PARCOURS

Michel Bret

Mon penchant pour les mathématiques était intimement lié à des préoccupations d’ordre plastique, je m’interrogeais en effet sur les problèmes de représentation spatiale, et singulièrement en géometrie non euclidienne. Ces recherches théoriques trouvaient un écho dans une pratique de la peinture, très influencée par l’art moderne (surréalisme, abstraction, Op-Art) et je ne manquais jamais, lorsque je montais à Paris, de visiter le Musée d’Art Moderne, le Louvre et ... le Palais de la Découverte.

Peu motivé par la perspective de devenir ingénieur, je décidais d’opter pour l’enseignement et passais mon CAPES à l’Université de Lyon. Désireux de découvrir d’autres cultures que la mienne, je partais, au titre de la Coopération, dans un périple de 7 années qui devait me conduire en Afrique du Nord, en Amérique du Sud et en Asie. Je combinais mon travail avec de nombreux voyages et une production picturale soutenue : Le Sahara, l’écriture, l’artisanat et la musique arabes. Les civilisations précolombiennes, la musique des "barrios" de Caracas et de Rio, les indiens de la forêt Amazonienne. Puis les mosquées du Moyen Orient, d’Iran, les temples Indiens et Thaïlandais, le théâtre et la musique Balinaise, le Viêt-Nam et la civilisation chinoise. Chaque fois de nouvelles perceptions, de nouvelles musiques, de nouvelles esthétiques, de nouvelles cultures, se traduisaient en peintures. A Caracas j’exposais à la Galerie "Los Barrencos" une vingtaine de grands tableaux (peinture à l’huile), à Saigon j’exposais de grands collages (6 mètres par 2 mètres 50).

De retour en France, en 1972, des maladies contractées au cours de mes voyages, et des difficultés personnelles, me tinrent éloigné, durant plusieurs années, de la création.

En 1975, alors que, assez démuni, je fréquentais le restaurant universitaire de Vincennes, par le plus grand des hasards, je passais devant une porte sur laquelle était écrit "Art et Informatique". Surpris (comment pouvait-on faire de l’art avec un ordinateur ?), mais intéressé (mathématique et peinture auraient-elles à voir avec ces nouvelles machines ?), je poussais la porte et vis Hervé Huitric occupé à de très étranges manipulations. Je m’informais, puis m’engouffrais dans cette nouvelle aventure. Engagé comme chargé de cours à Vincennes, suivant des cours du soir à Jussieu pour apprendre l’informatique (discipline dont j’ignorais tout), tout en enseignant à mi temps dans le secondaire, je me mis à la programmation d’images : A l’époque il n’y avait que des micro ordinateurs extrêmement rudimentaires sans aucun logiciel. Ce fut une chance : Tout était à inventer ... Je ne perdais pas de vue pour autant mes préoccupations de peintre, mais cette fois en y ajoutant le mouvement : Mes tableaux devinrent des programmes interactifs en temps réels et des films de synthèse, j’en fis de très nombreux, dont certains obtinrent un certain succès.

Grâce a Frank Popper je passais une thèse de troisième cycle, puis un doctorat d’état d’un genre nouveau, à la frontière de l’art et de ce que l’on commençait à appeler les "nouvelles technologies".

Avec les musiciens du GAIV (Groupe Art et Informatique de Vincennes qui regroupait des personnalités très diverses : Musiciens, poètes, peintres, linguistes, informaticiens, ...) nous nous produisions en concerts "live" au cours desquels de la musique électronique et des images interactives étaient générées en temps réel. Aux commandes d’un micro ordinateur, je contrôlais des animations colorées, en suivant la musique, grâce a un programme interactif (sorte d’"instrument d’image" que j’avais écrit en assembleur) : Il devait dorénavant remplacer mon pinceau. A mesure que je pénétrais le monde de l’informatique, je m’intéressais de plus en plus aux langages et décidais de concevoir un système original (anyflo, entièrement conçu et réalisé par un artiste) dont les pressuposés étaient d’abord plastiques et secondairement techniques. Je critiquais fortement les logiciels du commerce écrits par des ingénieurs, souvent dépourvu de culture artistique, qui câblaient dans leur code une véritable "esthétique implicite", qu’en tant qu’artiste, je refusais absolument. Je m’élevais d’abord contre la trop fameuse "perspective", considérée comme un dogme incontournable, la seule à laquelle pouvaient accéder les artistes au travers de ces logiciels. Je critiquais ensuite les méthodes d’animation, calquées sur les techniques traditionnelles, la modélisation d’objets considérés comme appartenant nécessairement à une scène tridimensionnelle, et le "tout souris" qui maintenait l’artiste dans un rôle purement manuel, très éloigné des potentialités de la machine.

A partir des années 90 je m’intéressais à l’animation comportementale, qui rompait radicalement avec le monde des objets de la synthèse classique pour se rapprocher du vivant. Celà s’accordait d’ailleurs très bien avec l’interactivité qui réhabilitait le rôle du corps (la "participation").

A partir des années 95 je découvrais la littérature sur le connexionisme et implémentais des réseaux neuronaux sous la forme de petits cerveaux que je greffais sur mes créatures. Du coup elles prenaient une certaine autonomie et j’expérimentais une façon plus libre de créer.

Dans le même temps le problème de l’interactivité me tenait toujours à cœur et, avec Edmond Couchot et Marie-Hélène Tramus, je concevais des installations artistiques interactives : Ce fut d’abord "La Plume et le Pissenlit", puis "La Funambule Virtuelle", puis "Danse avec Moi", autant d’expérimentations qui nous amenèrent à nous intéresser au cognitivisme, à l’évolutionnisme (j’implémentais à cette occasion les algorithmes génétiques), mais aussi à la perception : Ainsi, avec le professeur Alain Berthoz du Collège de France, nous nous sommes penchés sur les problèmes de la perception-action (du spectateur mais aussi des êtres virtuels). Renouant avec les sources historiques de l’informatique (les machines intelligentes de Turing, les automates de Newman et de Langton, la Cybernétique de Wiener), tout en utilisant les dernières avancées des neurosciences, cette démarche replaçait le corps au centre de la création artistique : Non pas le corps réaliste de la synthèse, mais le corps senti et "acté" du spectateur se découvrant, dans l’interactivité, une nouvelle perception, la sienne propre et celle de la machine. Il fallait dorénavant parler de Vie Artificielle et repenser le statut du créateur, de l’œuvre et du spectateur. Mais le point fondamental était cette convergence d’une pratique artistique avec des modèles scientifiques qui se faisait, non plus sur un mode calculable, mais vivant.

Les arts du spectacle que sont la danse, la musique, le cirque étaient alors un champ tout désigné pour nos expérimentations, nous en sommes là aujourd’hui.



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