Dispositifs

lundi 20 février 2006.
 


Litterature is usually considered as being a fractal work on language and text, all details are taken in charge and try to achieve the unique aim of translating the writer’s intentions. That ideological point of view on litterature is disturbed when text is written by an automatic generator. In that case, there is no fractal point of view but on the contrary something like a chaotic one. To illustrate that affirmation, the article open by a part of an automatic generated "Endless Novel".

UN ROMAN INACHEVE

JEAN-PIERRE BALPE

CHAPITRE 1 :

FERDINAND

Depuis quelques jours, d’innombrables faits étranges agitent la communauté, des ragots divers courent les salons, agitent toutes les conversations. Obsèdent. La ville entière ne cesse de parler d’un assassinat qui aurait été commis la veille dans le quartier résidentiel et chaque jour apporte avec lui son intéressante série de faits nouveaux, or c’est cette variété même, dans sa massive prévisibilité, qui en fait la banalité quotidienne. La vie n’est qu’une longue suite de moments accolés sans cohérence réelle, quelque chose comme un mauvais montage de séquences disparates, faites de bribes récupérées de vieille pellicule et qui, tant bien que mal, construisent une histoire particulière sans grande cohérence. Comment ne pas faire preuve de pessimisme ? D’un pessimisme fondamental, assuré, non celui superficiel des mauvais moments que rencontre toute existence, mais celui froid, profond qui peut se dissimuler sous le plus charmant des sourires et guide chaque seconde d’une vie vouée à l’ennui essentiel, tendu dans une patiente attente de l’inéluctable. Ferdinand a trouvé la lettre en rentrant chez lui, il se reproche les quelques mois qu’a duré leur liaison. Le temps, gluant comme un fil chaud de sucre d’orge, s’étire longuement...

(p.674)

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LAURENT

-  "Pourriez-vous soutenir que ce n’est pas vrai ?" Laurent a à moitié raison, rien d’important ne se passe jamais.
-  "Comment osez-vous dire cela ?" Alice rêve. Elle se souvient d’une jeune femme qui cueillait des simples au bord d’un fossé. Derrière la jeune femme, deux jeunes enfants -vraisemblablement un garçon et une fille- jouaient dans l’herbe. Il y avait là comme une étrange immobilité, une fragile suspension du temps. La jeune femme inconnue portait dans ses bras un bouquet de renoncules. Ce jour-là, la lumière du ciel était irréelle comme si tout événement provenait d’une autre dimension du temps. Plus loin, un homme à moustaches fines, était accoté à un arbre et contemplait la scène.

(p.704)

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CHAPITRE 2

FABRICE

Une musique, lointaine, filtrée par les volumes vides des pièces qu’elle traverse, leur parvient comme par vagues successives. La jeune femme porte dans ses bras un bouquet de tulipes. Dans le lointain, la mer s’étale sur la paysage en large tâche bleue immobile. Il y a aussi une forêt dont la ligne noire souligne l’horizon. Fabrice porte une grosse chaîne en or. Le jeune homme à la voix forte semble s’ennuyer ferme, regarde longuement ses ongles, anxieux devant l’envie de les ronger, met rageusement les mains dans les poches. Il s’avance vers une porte fenêtre comme s’il venait de prendre une décision importante. La chaleur est épouvantable. Un serveur portant un vaste plateau d’argent chargé de petits fours salés traverse la foule avec indifférence. Sa cravate est de couleurs vives. Rien d’important ne se passe. Emmanuelle respire mal, se sent oppressée.

(p.555)

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JACQUES

Le film se déroule dans l’indifférence générale. L’héroïne a des yeux en amande, elle traverse la foule en courant, se faufile entre des jambes. On ne sait depuis combien de temps ils sont là, mais aux traits épuisés de leurs visages, il semble que ce soit depuis longtemps. Un roulement de tonnerre parvient des lointains. La scène se passe maintenant dans une obscurité presque complète : des silhouettes inquiétantes rôdent dans la pénombre. La chaleur est épouvantable. Une voix sublime s’élève dans le noir. Il poursuit un rêve, regarde longuement ses ongles comme indécis devant l’envie de les ronger, met ses mains dans ses poches. Au loin quelques voitures démarrent dans la nuit. Il fait très chaud. Ils rôdent, semblent chercher quelqu’un ou quelque chose. Jacques regarde autour de lui, semble observer la foule des convives à la recherche d’un visage connu.

(p.557)

ÉRIC

Il y a un tableau baroque aux tonalités chaudes qui montre Cerbère menaçant un troupeau d’âmes mortes, une table florentine à la marqueterie de marbre représentant le Cygne amoureux de Léda. Il n’arrive jamais rien : il faudrait faire quelque chose... Alice est portée en avant par ses souvenirs, ramenée par eux en arrière... Elle est menée du dedans par ses souvenirs, à mesure qu’ils lui reviennent à l’esprit et ils reviennent en désordre. Ils prennent leurs distances. Pourra-t-elle jamais acquérir la sérénité ?... Le vent fait balancer les voiles de mousseline. La ville entière ne cesse de parler d’un assassinat qui aurait été commis la veille. Vie et Mort sont intimement liés comme les deux têtes de sœurs siamoises dont les voix discordantes ne disent différemment que pensées d’un même cerveau. Tout est littérature, seule la fiction approche la vérité.

(p.558)

RENAN

Un roulement de tonnerre parvient des lointains. On ne sait depuis combien de temps ils sont là, mais aux traits épuisés de leurs visages, il semble que ce soit depuis longtemps. Renan traverse la foule en courant, se faufile entre les jambes. Ils rôdent, semblent chercher quelqu’un ou quelque chose. En lui, tout doit et veut se réunir. Il rêve car sans rêves, que pourrait-il comprendre du monde ? Il lève les yeux au ciel, soupire :
-  "Nous nous sommes tant aimés..."
-  "Je n’ose croire en mon bonheur !..."
-  "Pourriez-vous soutenir que ce n’est pas vrai ?" Il murmure : "ce qui est fait n’est pas fait... ne comprenez-vous donc pas que cela a assez duré ainsi !..." De nombreuses portes s’ouvrent dans les murs. Temps du récit, temps du réel et temps du souvenir se mêlent inextricablement. Il feint de s’intéresser à un des tableaux de la pièce, s’en approche lentement, s’attarde dans une trop méticuleuse contemplation de la toile. Soudain, sans raisons, il pense que les grains de beauté sont pour lui des signes importants.

(p.559)

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UNE SOIREE

Toute la salle est entourée de portraits anciens qui, du haut de leur éternité de toile, impassibles, visages fermés sur leurs drames oubliés, contemplent indéfiniment le spectacle. Sur le mur de droite, le portrait est celui d’une petite fille portant de longues anglaises rousses. Elle a aussi les yeux en amandes. Un jeune marquis dont le jabot de dentelle met en valeur la délicate pâleur du teint fait face à une épaisse douairière. Un diadème lourdement chargé de l’éclat blanc de nombreux diamants confirme l’importance de la vieille dame inconnue. Les grands miroirs sont comme autant de portes ouvrant sur des mondes ignorés où se reflètent les portes réelles donnant sur les jardins. Les hauts murs de la vaste salle sont rythmés par les ouvertures des fenêtres et celles des tableaux aux lourds cadres dorés. De lourds rideaux de velours mauves, soutenus par de larges embrases, enferment les fenêtres. La scène se passe maintenant dans une obscurité presque complète : des silhouettes inquiétantes rôdent dans la pénombre. L’assistance est très nombreuse. Ailleurs, le ciel doit être nuageux, le vent puissant.

(p.574)

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LE JEUNE HOMME AU REGARD DE FEU

Deux hommes discutent à voix forte comme si, autour d’eux, le monde n’existait plus. On entend au loin quelques voitures qui démarrent dans le silence de la nuit : la scène a quelque chose d’étrange, comme paradoxal. Le jeune homme au regard de feu s’avance vers une porte fenêtre comme s’il venait de prendre une décision importante, il marche avec une certaine nonchalance froide, il est vêtu d’un jean de toile noire délavée. Une jeune femme passe qu’il regarde avec insolence comme s’il voulait la déshabiller mais elle ne voit pas son regard. Il s’approche d’une glace, feint de s’absorber un moment dans la contemplation de son propre visage. Il joue un personnage... Ou du moins se comporte comme tel. Avec sa cravate de soie, il n’est pas à l’aise dans cette pièce du théâtre. Le jeune homme au regard de feu semble s’ennuyer ferme, grignote négligemment un petit four. Son attitude est tranquille, sa démarche neutre. Il sait qu’il n’aurait jamais dû être là et ce savoir, à la fois, l’agace et l’exaspère. Il met la main dans sa poche... En retire un kleenex, puis un trousseau de clefs de voiture.

(p.583)

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CHAPITRE 3

AMELIE

Dans la cour d’une école anonyme, un groupe d’enfants, garçons et filles mêlés, jouent à quelque chose comme la marelle. Il poursuit un rêve. Son lyrisme ne s’élève jamais bien haut. Elle porte une robe à petites fleurs mauves. Le vent agite les voiles de mousseline. "Comme le temps va vite !" Ils mènent des rêves d’enfants qui ne demandent qu’à devenir actifs. L’avenir n’impose pas son évidence. Il va falloir quitter tout cela. Il endosse un à un les vêtements de l’air pur. Il a peur de regarder en lui. Le péché est surtout un empêchement. De lourds rideaux de velours rouge pendent aux fenêtres. Elle a trop longtemps appartenu à la solitude et ainsi désappris le silence. Sa tête est pleine de souvenirs qui se lèvent sous ses pas comme odeurs d’herbe poussiéreuse dans le vent. Elle pense : "à quoi bon ?"

(p.180)

AMELIE

Elle porte une robe à petites fleurs mauves. Les souvenirs l’envahissent comme des flammes. Lui, il a des dispositions pour le mensonge, il rêve qu’il est pilote d’avion de chasse, survole la foule en vrombissant. Il n’est plus entouré que d’ombres. Elle peut se répéter cent fois "je suis seule, je suis seule", cela tombe sur de la chair morte. Il reconnaît tout, se souvient de tout, sourit à tout avec une sorte d’affection lointaine. Ils n’ignorent pas qu’il y a des cieux de nuages et des bleus et des soleils ailleurs. Ils bégaient dans leur silence, hésitent entre plusieurs solutions, font de vagues projets muets.

(p.181)

CHAPITRE 4

RENE

Il n’avait jamais pensé que son existence pourrait ainsi s’emplir de rêves mais, sans rêves, que pourrait-il comprendre du monde ? Comment supporter la vie sans espoir ? Ils mènent des rêves d’enfants qui ne demandent qu’à prendre vie. Sa cravate est de couleurs criardes et elle n’aime pas du tout les costumes dont il s’affuble. Nul œil ne peut être plus clair ou plus brillant que l’œil qui n’a rien à créer, rien à faire que de chercher à voir. Il regarde autour de lui, semble observer la foule des convives comme s’il y cherchait un visage connu. Il, n’a d’autre but que de comprendre et de goûter avec ses sens.

(p.177)

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NICOLAS

Il y a beaucoup de monde : des gens très divers, des tenues de toutes sortes, des âges mêlés, le sol est fait d’un damier de marbre noir et blanc. Toute son histoire personnelle n’occupe que peu d’années. Il ferme les yeux, rêve qu’il est pilote d’avion de chasse, survole la foule en vrombissant. "Comme le temps va vite !..." Il se peut que seul l’oubli soit vrai. Comment savoir ? Comment distinguer le réel du monde de celui que l’esprit imagine ? Rien ne sert de courir après des événements fuyants, toutes les vies restent étanches. Il semble regarder un voilier qui s’éloigne sur une mer trop étale. Quelles traces restera-t-il de lui ?

(p.218)

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ANNE-GAËLLE

Une jeune femme discrète porte dans ses bras un bouquet de marguerites. Derrière elle, deux enfants -vraisemblablement un garçon et une fille- jouent dans l’herbe. Un jeune homme à la cicatrice rouge grignote négligemment un petit four, des silhouettes inquiétantes rôdent dans la pénombre. Une voix sublime s’élève dans le noir. Anne-Gaëlle s’approche d’une des portes-fenêtres comme pour sortir, ne se décide pas... Ils se regardent longuement. Leurs regards se croisent et se détournent. Olivier regarde à l’intérieur de lui-même et fuit ce qu’il y découvre. Il s’approche du buffet, prend, à la dérobée, une grosse poignée de petits fours. Il marche avec une certaine nonchalance sereine. Elle détourne le regard, traverse tous les événements en affichant un suprême mépris des diverses péripéties qui l’assaillent. Rien d’important ne se passe.

(p.271)

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ANTOINE

Il semblerait que depuis quelques temps la ville ne soit plus si sûre. Il veut n’être rien et rien d’autre que ce rien. Il rêve. Elle rêve. Rien ne sert de se raconter des histoires même si rien n’est plus réel que le mensonge, plus savant que l’ignorance. Il n’avait jamais pensé que son existence pourrait ainsi s’emplir de rêves. De nombreuses portes s’ouvrent dans les murs. Pour vivre, il ne faut pas être conscient d’avoir à supporter la venue de la mort. Il sent en lui quelque chose qui cherche à être dit, qui veut se dire. Il y a toujours auprès de lui quelqu’un qui manque. Aux murs, les cadres des tableaux rivalisent de richesse dorée. Le jeune homme traverse la pièce à la recherche d’un fauteuil, d’un siège quelconque, trouve finalement une chaise d’apparence vaguement Louis XVI.

(p.337)

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CHAPITRE 4

JOANNA

La beauté est la forme que l’amour donne aux choses... Elle porte ce jour-là une robe fourreau d’un rouge vif. Ils bégaient dans leur silence, hésitent entre plusieurs solutions. Plus loin, au bord de l’eau, un homme sans âge, portant un canotier, semble absorbé dans la contemplation des reflets aquatiques. Il regarde autour de lui, semble observer la foule des convives comme s’il y cherchait un visage connu. Il a perdu l’habitude de contempler ce monde, perdu la mesure de sa grandeur... Il se sent isolé des autres, tout comme eux-mêmes sont isolés entre eux. Elle, elle a le désir profond de voir arriver quelque chose. Ils prennent leurs distances.

(p.178)

MARION

Marion rêve, son cœur est triste jusqu’à la mort de nostalgie et d’anxiété. Ils marchent depuis des heures dans les sables, la chaleur est épouvantable, le sable leur brûle les pieds.
-  "Ne m’obligez pas à vous dire tout ce que je pense !" On ne sait depuis combien de temps ils sont là, mais aux traits épuisés de leurs visages, il semble que ce soit depuis longtemps. Une jeune femme passe qu’Eric regarde avec insolence comme s’il voulait la déshabiller mais elle ne voit pas son regard.

(p.179)

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CHAPITRE 5

LE JEUNE HOMME AU REGARD DE FEU

La scène a quelque chose d’étrange, comme paradoxal, lui regarde la foule comme si tout cela n’existait pas, ou du moins lui était extérieur. Il est vêtu d’un jean de toile noire délavée, porte une cravate de soie, n’est pas à l’aise dans cette pièce, marche avec une certaine nonchalance paisible. Il joue toujours un personnage... Ou du moins se comporte comme tel. Il sait qu’il n’aurait jamais dû être là et ce savoir, à la fois, l’agace et l’aiguillonne. Des éclats de voix pénètrent de l’extérieur et s’étouffent dans les voilages. Il s’approche du buffet, prend, négligemment, une poignée de petits fours. Son attitude est impassible, sa démarche paisible. Il met la main dans sa poche...

(p.408)

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NICOLAS

Nicolas n’a pas l’air heureux. Il se souvient, pense à ses soldats de plomb...
-  "Elle aurait dû me prévenir." Il lui semble avoir déjà vécu plusieurs fois cette même scène dont il connaît par avance l’essentiel des paroles qui vont être dites, des faits qui vont se produire.
-  "Pourriez-vous soutenir que ce n’est pas vrai ?"
-  "Est-ce que la passion raisonne ?"
-  "Excusez-moi... et faites comme vous l’entendez..."
-  "Ne pourrions-nous pas parler d’autre chose ?..."
-  "Comment se peut-il que nous ne puissions maintenant nous comprendre ?" Il s’est toujours voulu en retrait par rapport au temps, un souvenir lui revient soudain en mémoire. Il revoit cette scène ancienne : dans la cour d’une école anonyme, un groupe d’enfants, garçons et filles mêlés, jouent à quelque chose. Les couleurs dominantes sont le brun et le rouge. L’herbe est haute, comme si la contrée était sauvage. Il se méfie cependant de sa mémoire, il vit dans une brumeuse impression de rêve.

(p.504) ............................................................................................

(Séquence 30)

DISPOSITIFS

Jean-Pierre BALPE Université Paris VIII

"Tout livre qu’un autre que son auteur aurait pu écrire est bon à mettre au panier."

Paul Léautaud

UN DISPOSITIF FRACTAL

Impensable en dehors d’une inscription temporelle, toute littérature a massivement à faire avec la linéarité. Chaque texte s’inscrit dans la durée d’une lecture enfermée entre son début et sa fin : il a un incipit, une clôture, et se déploie entre ces deux points qui sont, pour cette raison, considérés comme privilégiés. La durée établit ainsi un des dispositifs les plus stables de nos littératures. Et l’écriture des textes littéraires est largement contrainte par cette matérialité. Même les recueils poétiques, qui sembleraient pourtant pouvoir échapper à cette contrainte d’ordre, dès qu’imprimés dans un ouvrage quelconque se trouvent soumis à cette loi générale.

Bien entendu, certains auteurs, contemporains pour l’essentiel, ont essayé d’y échapper, Jacques Roubaud proposant des lectures hypertextuelles de son recueil (Ed. Gallimard), Marc Saporta avec Composition I (Ed. du Seuil, 1962), dans une moindre mesure Cortazar avec Marelle, mais les pesanteurs du média livre rendent ces lectures hypertextuelles problématiques, et relèvent davantage des "curiosae" que de modalités réelles : le lecteur n’est pas suffisamment contraint dans ses pratiques pour ne pas faire fonctionner la lecture de ces ouvrages suivant l’habitus culturalisé.

Cette contrainte du linéaire définit en effet si fondamentalement ce que nous appelons aujourd’hui littérature qu’il paraît difficile de penser une littérature autre, c’est-à-dire rendant inimaginable toute linéarisation spontanée du texte.

Or la linéarisation a des conséquences importantes : elle installe le texte dans une perspective téléologique. D’une certaine façon, un texte devient une démonstration logique conduisant un lecteur d’un début vers une fin. Cette "conduite" contraint alors l’ensemble de l’appareillage textuel en ce sens que tout élément d’un point quelconque de la lecture en cours doit, sous peine d’échouer à constituer ce qui est considéré comme "littéraire", contribuer à conduire vers cette fin qui, dès lors, est implicite dans ce début tendu vers elle. La difficulté d’écriture de ce que l’on appelle les "récits interactifs", dont les collections pour enfants du type générique "Livre dont vous êtes le héros", sont ceux qui exhibent de la façon la plus caricaturale leur technologie, repose sur cette loi : la multiplicité des parcours ne permet pas d’éviter la contrainte de finalité. Un livre court toujours vers son but. Dans ce contexte, le dispositif interactif ne fait ainsi que complexifier la "justification" de la démonstration textuelle en juxtaposant plusieurs logiques possibles non parallèles, mais complémentaires, donc ni concurrentes ni contradictoires. La plupart du temps au contraire, un tel dispositif interactif exaspère la visée téléologique : le livre devient jeu, sa lecture n’a d’autre finalité que de découvrir la meilleure façon de parvenir au but. Et, en ce sens, ils débouchent sur une lecture déceptive...

Cette contrainte dominante du but définit une structuration "fractale" : chaque fragment est un indice de l’intention totale du texte, intention qui ne se révélera pourtant que sous l’angle privilégié du point final à partir duquel seulement peut enfin apparaître "l’image dans le tapis". Chaque fragment devient miniaturisation de la totalité de l’intention du livre. Dans une situation idéalement littéraire, chaque mise en abîme événementielle reproduit à une autre échelle l’ensemble de la littérarisation complète du texte. Ce dispositif téléologique contraint, en ce sens, à une mesure permanente de l’effet local en fonction du but attendu : le choix de tel ou tel mot relève de la stratégie globale et non de la stratégie locale ; la psychologie d’un personnage est constituée "finalement" par l’ensemble de tous les événements le concernant dans l’ensemble du texte, elle est donc fixe, et ne peut être mobile sous peine de rendre le personnage "non crédible" ou "peu vraisemblable".

La cohérence de l’écriture relève de la démonstration logique et même les écrivains qui ont voulu plutôt créer un réalisme de la "monstration", comme Claude Simon et divers autres de ses contemporains, se trouvent pris dans les rets contraignants du dispositif.

Bien que dominant dans l’idéologie littéraire contemporaine, le dispositif fractal est en totale contradiction avec la conception contemporaine de la lecture ouverte : si l’intentio auctoris est toute entière tendue vers un but, elle se doit de contrôler l’ensemble des possibles ouverts au texte de façon à éviter la moindre déviation de cette flèche qu’elle tire ; l’intentio lectoris ne peut plus intervenir qu’au niveau des marges, c’est-à-dire comme interprétation. Elle ne peut en aucun cas, comme les théoriciens de l’œuvre ouverte, revenus depuis sur ce concept (cf. notamment "De l’interprétation" de Umberto Eco), ont voulu nous le faire croire, être création réelle, projection d’une intention autonome par le seul effet de la lecture. L’auteur, celui qui a l’autorité, n’a cette autorité que parce qu’il définit la trajectoire et il ne peut être que le seul à la définir. Toute autre attitude de lecture conduirait à une dangereuse confusion des rôles : l’intentio lectoris ne joue que sur les absences de l’intentio auctoris et cela dans la mesure où l’extrême complexité des phénomènes fractals interdit à tout auteur de prétendre, à tout moment, maîtriser tous les événements intervenant de façon dynamique sur la trajectoire de la flèche. Paradoxalement, si l’intentio lectoris dispose d’importantes marges de manœuvres, c’est que l’intentio auctoris est faible, et donc, d’une certaine manière, que le texte lu est un texte moins représentatif dans l’échelle implicite de la littérarité. Ce que manifeste exemplairement l’écriture poétique où le moindre des signes doit être pesé car contribuant fractalement, c’est-à-dire non seulement localement, mais comme motif génératif, figure emblématique, de la totalité de l’intention du poème, idéalement même, de celle du recueil. L’écriture d’un Joyce, d’un Ponge, d’un Ricardou, d’un Claude Simon, d’un Perec... par exemple, constituent des parangons de cette approche. Comme s’il s’agissait d’une évolution inéluctable portée par le dispositif, son aboutissement s’exemplifie ainsi de façon caractéristique dans l’écriture la plus contemporaine.

Deux comportements de lecture découlent de ce dispositif : une lecture "populaire" et une lecture "savante".

La lecture populaire n’attache à la fractalité qu’une importance modérée, les indices qu’elle utilise sont des indices de haut-niveau. La plupart du temps, elle se contente de ceux inscrits au niveau primaire du séquentiel et n’accepte guère de descendre au-dessous de la chaîne des événements, son instrument de lecture est, au mieux, celui des "grammaires de récit" ou autres sémiotiques dérivées de Propp. Dans ce contexte, tout texte exigeant un examen des niveaux inférieurs sera alors considéré comme "difficile", pour ne pas dire "illisible". La cohérence linéaire du récit est ici la seule pierre de touche : une lecture extensive unique suffit à épuiser le texte. En ce sens, la lecture populaire, qui s’appuie sur les seules chaînes causales, est une lecture "rationnelle".

La lecture savante, elle, est "déterministe". En ce sens, elle tend à l’herméneutique, c’est-à-dire la recherche sous l’enchaînement des événements primaires de facteurs secondaires complexes mais relativement descriptibles : elle se situe délibérément dans la fractalité générale où tout événement textuel minimal est représentatif de l’événement textuel global. Pour l’essentiel, c’est même cette fractalité qui est considérée comme définissant la littérarité. Dans ce cadre, et dans la mesure où la figure fractale ne se perçoit que dans un changement permanent de niveaux, une lecture est une relecture : le texte est inépuisable. D’autant que, dans cette recherche exacerbée d’indices, peut non seulement être convoqué le texte, mais également le métatexte ou le contexte : variantes, biographies, conventions de genre, histoire... Tout événement, même le plus minime, ayant un rapport quelconque avec le texte peut, légitimement, ouvrir des pistes nouvelles vers ces indices qui permettent de saisir la complexité et la cohérence de l’intentio auctoris.

L’aboutissement de cette logique est évidemment celle du roman policier, mais d’un roman policier qui est à lui-même sa propre énigme. Ce n’est donc peut-être pas un hasard si les textes-symboles de la littérarité contemporaine -"Ulysse" de Joyce, "La vie mode d’emploi" de Perec, "Le nom de la rose" d’Umberto Eco- jouent ouvertement, par la multiplication des niveaux indiciels, le jeu d’une lecture de l’hermétisme. Dans ce cadre, le concept d’ouverture ne peut être entendu qu’en un sens restrictif : un lecteur ne participe pas à la création du texte. Au mieux, il ne participe qu’à la création d’une lecture du texte, et ces deux situations sont fondamentalement différentes puisque cette lecture n’est légitime que parce qu’elle est déjà virtuellement inscrite dans les motifs du texte. L’œuvre n’est ouverte que sur des recherches de solutions.

DISPOSITIF FRACTAL ET INFORMATIQUE

La technologie informatique s’insère récemment dans ce dispositif bien installé et culturellement admis... A première vue, elle n’y modifie rien. Du moins tant qu’elle se contente d’apparaître comme un instrument passif de lecture, ou même d’écriture : traitement de texte.

Mais l’informatique ne prétend pas seulement contribuer à la lecture des textes, elle se propose également d’intervenir dans leur écriture et leur production. Dans ce cas ses rapports au dispositif changent. La différenciation des interventions de l’informatique dans le champ littéraire permet en effet de définir quatre rapports différents au dispositif dont aucun n’est sans incidences :

- l’informatique comme outil passif de lecture : l’analyse informatique, - l’informatique comme outil actif de lecture : la littérature informatisée, - l’informatique comme outil passif d’écriture : le traitement de texte, - l’informatique comme outil actif d’écriture : la littérature informatique.

L’usage de l’outil informatique comme instrument passif de lecture prolonge naturellement la perspective herméneutique : dans son usage analytique, l’outil informatique s’avère, d’emblée, être un puissant instrument de recherche et de vérification d’hypothèses. Il ne crée rien, ne propose rien, au mieux attire l’attention sur des régularités peu perceptibles, permet surtout de vérifier exhaustivement et, soi-disant objectivement, des hypothèses subjectives de lecture.

Sur ce terrain, l’informatique ne remet rien en cause, bien au contraire puisqu’elle affirme en quelque sorte que la fractalité est telle qu’un lecteur averti se doit d’instrumentaliser sa lecturefaute de quoi il risque de passer à côté d’indices essentiels. Le recours informatique exacerbe l’idéologie sous-jacente au dispositif : n’est texte que ce qui est tissage complexe, texture opaque.

Bien que par d’autres moyens, le recours à l’affichage informatique comme outil de lecture active contribue à ce même renforcement idéologique. Dans cette perspective en effet, le figement du texte sur la page est ressenti comme une perte de densité dans les fils de la trame, perte à laquelle -depuis Raban Maure jusqu’au spatialisme- s’est constamment affrontée la littérature. L’aspect visuel du texte, largement contraint par les conventions du médium employé souffre de ne pouvoir exploiter tous les possibles de l’image, puis ceux de l’image en mouvement. L’outil informatique comble ces manques que réclame le dispositif, le texte reste maître et l’auteur maître de ce maître qui va régler, avec la plus grande minutie, tous les tramages que le mouvement propose à la visée téléologique. Dans le délire d’intrications complexes de l’ensemble des événements textuels qui définit la littérarisation, l’informatique propose à l’ensemble du dispositif un nouveau niveau fractal. Prolongeant ses métastases au sein de l’espace informatique, le texte, inchangé dans son principe, ne fait que dévorer un nouveau médium : le texte n’est qu’informatisé. Cette évolution ne fait que renforcer les règles qui le justifient.

Pour qu’apparaisse une fracture, il faut que l’informatique se mêle d’écriture...

La pratique du traitement de texte a suffisamment été discutée ici ou là pour que, dans cet article, il n’en soit pas longuement question tout semblant, déjà, avoir été dit sur ce sujet... Une remarque cependant, le débat porte souvent de façon implicite sur la fractalité, et cela sous deux thématiques différentes.

La première thématique courante est celle de la perte des traces. Bien que semblant ne concerner que l’écriture, c’est en fait sur le plan de la lecture qu’elle interroge le dispositif.

L’absence de mémorisation des ratures, biffures, repentirs, remords et variations interdit à la lecture savante une recherche d’indices dans le métatexte. Accepter cet état de fait est donc, d’une certaine façon nuire au dispositif... On sait assez, à ce sujet, les fantasmes agitant les milieux de conservation où l’on rêve parfois, comme pour le poste de grand lecteur de la bibliothèque de France, de conserver la moindre action produite sur le clavier d’un "écrivain".

A cela, pas de limites : l’auteur a tapé un espace de trop, puis est revenu en arrière ; a hésité 3 secondes entre la frappe de deux caractères, ou quinze... tout est indice virtuel, signe de littérarisation. Évidemment, il sera difficile d’estimer si un arrêt actif, ordinateur allumé, d’un quart d’heure correspond à une période intense de réflexion, à une communication téléphonique -et qui, à moins que cet ordinateur ne possède un modem "espion", nous dira jamais comment son contenu influa sur le texte ultérieur- ou à une pause café ; si la correction du mot "marne" par le mot "mare" correspond à une faute de frappe ou à une dérivation indicielle ; si l’extinction de la machine provient d’une interruption accidentelle de courant ou d’un arrêt volontaire... Peu importe, le lecteur savant saura discerner entre bonnes et mauvaises pistes. Et par là même, se verra confortée la totale pertinence du dispositif fractal.

Ainsi, à l’infini, le délire technologique exacerbe le dispositif. Seule cette exacerbation, rédime l’informatique de son péché originel : la mise en cause de la primauté du construit-conscient.

La seconde thématique courante dans les polémiques au sujet de l’usage passif, en littérature, de l’informatique, c’est-à-dire d’un usage dans lequel l’humain conserve la totalité du contrôle sur l’intervention de l’ordinateur dans l’écriture, porte sur la principale innovation fonctionnelle du traitement de texte, celle du "couper-coller". Cette technique, autorisant un déplacement rapide des fragments de texte, tendrait à favoriser des lectures locales et ne permettrait peut-être pas à l’écrivain-horloger-suprême de maîtriser pleinement les effets globaux de ses délocalisations trop subites. La fractalité ne pourrait qu’y perdre... Chacun a lu ou entendu citer l’anecdote de cet éditeur d’une grande maison d’édition qui prétendait reconnaître immédiatement, parmi les manuscrits qui lui étaient soumis, ceux écrits sur traitement de texte : ils ne pouvaient évidemment qu’être moins "écrits", donc aussitôt repérables à un lecteur savant avisé... Bien entendu, cette remarque est fausse. De nombreux écrivains contemporains, et non des moindres -Butor, Eco, Roubaud...- on sut s’approprier suffisamment l’outil technique pour dominer ces éventuels effets secondaires. Il n’en demeure pas moins que la crainte s’est un moment focalisée sur l’instrument exprimant une phobie de la perte. La moindre délégation de contrôle sur le texte apparaît en effet aussitôt comme une remise en cause profonde de l’ensemble du dispositif littéraire.

Pourtant, dans l’ensemble, le texte demeure. L’informatique, cantonnée à une instrumentation de lecture, reste neutralisée par la littérature.

L’ECRITURE EVOLUTIVE, UN DISPOSITIF CHAOTIQUE

Ce n’est que lorsque l’informatique change la matérialité du dispositif que l’on peut parler de littérature informatique. Dans ce cas, l’ensemble du dispositif est profondément remis en cause. En effet, là où l’informatique commence à poser problème, c’est lorsqu’elle prétend intervenir non comme outil complémentaire au dispositif, mais comme nouveau dispositif de littérarisation.

Malgré ce que peut en laisser penser la publication sur papier, l’extrait de roman qui introduit cet article est un fragment de roman informatique en cours, de roman généré par un ordinateur, c’est-à-dire changeant complètement la régulation du dispositif fractal et, pour cela, posant des questions cruciales à l’idéologie littéraire.

Le changement de paradigme est en effet, ici, complet. Comme l’indique partiellement le marquage paratextuel, le générateur fonctionne sur trois articulations principales : d’une part, il génère des chapitres sur un thème, ce thème pouvant concerner l’un ou l’autre des héros dont la présence est virtuelle dans l’ensemble de l’œuvre ou des textes non précisément attribués ; d’autre part, il génère des pages dans ces chapitres, ces pages concernant les mêmes thèmes que ceux des chapitres mais traité de façon différente ; enfin, le générateur construit des séquences, c’est-à-dire des articulations de pages et de chapitres.

Ce roman n’a ni début ni fin... Le début est une page quelconque générée à un moment T. Elle n’est peut-être pas la première lue... La fin ne se décrête que par la décision physique d’arrêter de lire... ou de détruire les programmes... Pages, chapitres et séquences sont toujours à lecture unique (à moins d’être, comme ici, artificiellement figés sur la papier) puisque toute action du lecteur provoque la génération de nouvelles pages, donc une modification des chapitres et une redéfinition des séquences. Par exemple, le seul fait, de "tourner" une page électronique provoque l’effacement de celle qui vient d’être lue et la génération d’une nouvelle qui la remplace, donc une redéfinition du chapitre et une modification de la structure des séquences ; l’enregistrement d’une page provoque son remplacement par une nouvelle ; l’enregistrement d’une séquence provoque le remplacement d’un certains nombres de pages de cette séquence par de nouvelles... Enfin, si le lecteur le désire, la lecture est hypertextuelle : elle peut regrouper dans un même chapitre toutes les pages portant le même titre, groupement qui a, lui aussi, pour effet de détruire un certain nombre de pages écrites -mais peut-être non encore lues- et de les faire remplacer par d’autres. Cet ensemble de fonctionnement, dont il est impossible de rendre compte sur papier, interdit donc absolument toute relecture de l’un quelconque des niveaux d’articulation du roman : chaque lecture provoque immédiatement des disparitions et des remplacements de pages.

Bien entendu, tous ces événements textuels primaires pour le lecteur sont générés, c’est-à-dire composés automatiquement par le générateur : ils ne sont pas piochés dans une base de données de pages ou de chapitres. Il est donc strictement impossible d’imaginer qu’une lecture, aussi longue soit elle, puisse rencontrer deux fois la même page. Enfin, les possibilités génératives sont infinies, le nombre de pages, de chapitres ou de séquences, illimité : nul lecteur, aussi passionné soit-il, ne peut prétendre avoir lu l’intégralité du roman ; deux lecteurs ne peuvent pas avoir lu les mêmes séquences du même roman. Et pourtant, il s’agit bien d’un roman particulier car un autre générateur, sur les mêmes principes de base, en produirait un tout autre... Le fonctionnement est bien "littéraire"...

Pourtant ce n’est pas de la littérature au sens que l’on donne généralement à ce terme : il n’y pas de relecture possible, une analyse "critique" des fragments obtenus ne peut être qu’inutile puisque chaque fragment n’a de sens que dans une temporalité courte et que des lecteurs ne peuvent pas comparer leurs lectures. Le dispositif fractal, même si une lecture "papier" des pages peut laisser croire le contraire, ne peut pas être convoqué comme dispositif de littérarisation puisqu’il est impossible d’une part de suivre une quelconque linéarité du texte, et d’autre part, faute d’arrêt, de penser découvrir des indices locaux désignant une téléologie globale. Lorsque de tels indices : variations , reprises, citations, jeux formels... peuvent être pointés localement, il est impensable de percevoir à quel réseau global ils se réfèrent puisque ce réseau global ne sera, par définition, jamais achevé tant que le générateur continuera à fonctionner. Seul un enregistrement systématique des textes générés et une éventuelle décision d’interruption de la génération pourrait donner quelque chose comme une complétude du roman. Mais, d’une part, cette complétude restera toujours virtuelle puisque diverses pages générées auront été effacées et non lues en cours de génération et, d’autre part, l’existence de multiples du générateur interdit que l’arrêt sur tel ou tel de ses exemplaires puisse signifier l’arrêt de la totalité des exemplaires existants. Ni version princeps ni édition définitive. Arrêté ici par la décision arbitraire d’un lecteur ou par celle de l’auteur lui-même, le générateur poursuivra, ailleurs, sa production de texte dans le cadre de ce même roman. Quels que soient les parcours choisis, certains fragments de la structure linéaire virtelle ne pourront jamais être retrouvés, et ce roman sera toujours inachevé.

Le dispositif, qui repose ici sur un principe de hasard déterministe, est chaotique. Le texte, cohérent à un niveau supérieur, se construit sur une série illimitée de divergences locales irréversibles : le récit du roman se fonde sur un fourmillement dynamique de hasards incontrôlables. La littérarité ne repose plus sur le dispositif fractal mais sur la dynamique du chaos. Ce dispositif est ainsi une négation absolue du dispositif fractal, il repose en effet essentiellement non sur la téléologie et l’utopie de la maîtrise complète mais sur une redéfinition dynamique et permanente de l’ensemble de l’œuvre : une volonté de production ouverte. L’intentio auctoris ne peut plus être invoquée, du moins au niveau de la matérialité du texte puisque l’auteur du programme qui écrit le texte est dans l’incapacité totale de prévoir quel texte terminal peut être généré et ceci aussi bien au niveau final de l’écriture des phrases elles-mêmes qu’au niveau supérieur des articulations de pages, de chapitres et de séquences. L’auteur n’intervient plus qu’au niveau d’une programmation d’ensemble abstraite, il se refuse tout pouvoir sur les tramages de détails même si, cependant, par la technologie du dispositif, certains parfois, s’esquissent. L’intentio lectoris n’a plus à retrouver les indices de celle de l’intentio auctoris, mais se contente, d’une part, d’accepter que le texte lui parle et, d’autre part, de construire, par ses actes un sous-ensemble particulier d’un roman général. Elle en acquiert une liberté réelle. Par l’introduction d’un hasard nécessaire, l’œuvre est réellement œuvre ouverte. Bien que radicalement différente sur le plan idéologique (ou le recours à l’inconscient tend à réintroduire un niveau de fractalité), elle est, paradoxalement, beaucoup plus proche des dispositifs sous-tendant l’écriture surréaliste que de ceux sous-tendant une écriture réaliste dont elle paraît pourtant plus proche. Ce qu’elle met ainsi en cause c’est, essentiellement, l’idéologie du littéraire en affirmant d’une part l’existence de l’aléatoire dans la création, l’importance de la variation, le refus du contrôle millimétrique de la langue et, d’autre part, la primauté du mouvement de lecture.

Il est évidemment toujours possible de répondre à des problèmes nouveaux par l’aveuglement et l’exclusion et de considérer, d’emblée, que tout texte ne s’inscrivant pas dans le dispositif fractal n’est pas de la littérature mais il faudra alors trouver une autre désignation pour ces ensembles de textes ou considérer que la définition dans laquelle l’idéologie tend à enfermer la littérature n’est peut-être pas tout à fait adéquate.

Les perspectives sont grandement ouvertes...



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