Sur TRANSITOIRE OBSERVABLE

samedi 1er mars 2003.
 


Sur TRANSITOIRE OBSERVABLE (mars 2003)

Le texte fondateur Transitoire Observable est essentiel parce qu’il définit avec suffisamment de précision le champ dans lequel nous oeuvrons. Les nombreuses difficultés que je rencontre partout dès qu’il s’agit de présenter mes travaux proviennent, je pense, d’une ignorance générale de leur nature et par conséquent d’une appréciation erronée des conditions de leur lecture/exposition. A titre d’anecdote, n’a-t-on pas été jusqu’à me fournir un projecteur de diapos parce que j’avais besoin d’un " projecteur ". Au flou de ma demande les organisateurs ont répondu avec leur expérience. Je ne saurais leur en vouloir. Si personne ne lève les ambiguïtés, il n’y a aucune raison de croire qu’elles s’évanouiront d’elles-mêmes. Le problème immédiat est de comprendre et de faire comprendre quelle est la nouveauté de notre démarche. L’ordinateur est un outil à toutes mains, majoritairement perçu comme une super-télé, une super-machine à écrire, une super-calculette, un super-studio, un super-chevalet. Cette nouveauté là, qui est comprise et assimilée, n’en est malheureusement pas une. L’outil informatique, utilisé dans la création de travaux analogiques et/ou numériques, n’est pas à lui seul suffisant pour déboucher sur des comportements nouveaux, une esthétique différente, d’autres enjeux. Les travaux que nous présentons sont donc condamnés à être incompris tant que le " lecteur " adopte une attitude qui ne correspond pas à ce qui est à l’œuvre dans l’œuvre.

Il ressort du texte qu’il n’est pas facile de définir ce qui nous occupe. L’art " numérique " est vaste et presque rien de ce qui s’en réclame ne nous concerne. Lorsque je décris ce que nous faisons, je suis souvent accusé de puritanisme excessif. Il ne faut pas le prendre en mauvaise part. Ca veut seulement dire que pour mes interlocuteurs il n’y a pas de rupture entre notre approche et par exemple la vidéo. Ce qui nous distingue ne se voit pas. Ce sont des actions menées sous la surface, préparées par la programmation. Que le code provienne de logiciels commerciaux ou du long et fastidieux travail individuel ne change rien à l’affaire. Moi qui ne suis en rien technicien ni matheux, je fais tout ce que je peux pour éviter l’encodage manuel. Hélas, les scripts pré-écrits se révèlent à eux seuls vite insuffisants, c’est toujours juste ailleurs que se trouve la solution. Alors, je me bats sur la moindre ligne, je vais d’échecs en déceptions. Cependant, non seulement je ne pourrais m’en passer, mais je me rends bien compte que sur lui porte l’essentiel de mon effort. A titre d’exemple encore, il est très difficile de faire comprendre qu’un click n’est pas une action identique à celle d’appuyer sur un bouton. Je devrais y être habitué, et pourtant je suis toujours surpris des comportements réducteurs qui, par comparaison ou contiguïté, adaptent la nouveauté en connu : " C’est comme..., c’est une sorte de...., ça revient à... ". Pour moi, l’action à mener est d’abord de faire (re)connaître l’originalité de nos démarches.

A la réception du texte Transitoire Observable je me suis dit qu’il se produisait ce que depuis bientôt quatre ans j’essayais sans succès d’entreprendre. Lors de la manifestation Image-Nations au Canada en 1999, Eduardo Kac http://www.ekac.org/ , Eric Vos http://epc.buffalo.edu/authors/links.html et moi avions décidé de souligner nos différences d’avec les poésies concrètes, sonores, visuelles et autres. Dans l’avion qui nous ramenait, Eduardo et moi avions élaboré un texte intitulé " Digital Poetry Matrix " que nous avions soumis à Philippe Bootz, John Cayley et Jim Rosenberg. Des discussions s’en étaient suivies, le terme " programmable media " s’en était dégagé, mais aucun groupement ne s’était formé.

La situation s’était reproduite l’année d’après à Buffalo http://epc.buffalo.edu/ . Charles Bernstein, le président du Département de Littérature Anglaise de NY University, s’était enthousiasmé pour les " emerging media " (les Américains sont très feu de paille) et le renouvellement radical que nous lui montrions. Il nous comparait même au groupe surréaliste à ses débuts, ce qui était nous faire un honneur immérité, puisque nous n’étions ni surréalistes ni groupe. Il m’était clair que nous étions en train de créer des œuvres vraiment nouvelles, sans pourtant en avoir la moindre certitude. Heureusement, les œuvres et les créateurs se sont multipliés, la réflexion s’est approfondie, de nouveaux moyens se sont fait jour. Curieusement, plus l’emploi de l’ordinateur se répandait et se simplifiait, moins l’originalité qu’il permet était reconnue. J’étais persuadé que si nous représentions quelque chose de neuf et de différent, la nouveauté qui nous était prêtée n’était pas la bonne et que nous ne parvenions pas à exprimer les termes de notre différence. Récemment, un groupe français s’est formé, un amas d’étoiles, que Jim Andrews a présenté dans le dernier Turbulence.org. http://turbulence.org/curators/Paris/ J’ai eu l’impression alors, qui heureusement n’a duré que quelques semaines, d’avoir manqué une occasion.

Bref, je suis particulièrement heureux de l’initiative ayant conduit à la formation de " TRANSITOIRE OBSERVABLE ". Pour qu’une nouveauté se fasse jour, il faut que l’ensemble des acteurs en aient conscience. Pour que cette prise de conscience puisse se faire, il a fallu d’abord être nous-mêmes persuadés de nos intuitions, la thèse de Bootz a été déterminante. Il faut maintenant en convaincre le public.

Patrick Burgaud



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